Algues vertes en Bretagne : fléau ou ressource d’avenir ?
Chaque été, c’est la même rengaine sur certaines plages bretonnes : des échouages massifs d’algues vertes viennent gâcher le paysage et poser des questions sanitaires et environnementales sérieuses. Longtemps perçues comme une nuisance difficile à éradiquer, ces algues pourraient pourtant bien avoir trouvé leur rédemption dans des projets de valorisation locale. Et si le problème devenait, enfin, une opportunité ?
Les marées vertes, sympômes d’un déséquilibre
Avant de parler solutions, petit retour sur les causes. Les marées vertes sont principalement dues à une eutrophisation du littoral. En d’autres termes, un afflux excessif de nutriments—essentiellement l’azote et le phosphore—provenant à 90 % de l’agriculture intensive. Ces apports stimulent la croissance exponentielle d’ulves, des algues vertes qui se multiplient à la vitesse de la lumière, ou presque.
Les conséquences sont multiples : asphyxie des écosystèmes marins, dégagements de gaz toxiques (comme le sulfure d’hydrogène), coûts élevés de collecte et de traitement des algues pour les collectivités, sans compter l’impact sur l’image touristique de la Bretagne. En 2019, le coût du ramassage et du traitement des algues vertes s’est élevé à environ 3 millions d’euros. De quoi réfléchir à des solutions plus durables et économiquement viables.
Et si on valorisait ce que l’on ramasse ?
C’est précisément la voie empruntée par plusieurs projets innovants en Bretagne. Plutôt que de considérer les algues vertes comme un simple déchet, pourquoi ne pas les transformer en matière première ? Cette idée a fait son chemin, notamment grâce à des initiatives locales mêlant collectivités, entreprises et laboratoires de recherche.
Le potentiel est réel : biogaz, fertilisants organiques, matériaux biosourcés, voire ingrédients pour la cosmétique ou l’alimentation animale. La valorisation des algues vertes offre des perspectives multiples qui peuvent contribuer à une économie circulaire locale.
Projet Biogaz Vallée Verte : une première réussite
Implantée dans les Côtes-d’Armor, la SAS Biogaz Vallée Verte a misé sur la méthanisation pour donner une seconde vie aux algues ramassées sur la côte. Collectées puis prétraitées, les algues sont ensuite co-digérées avec des déchets organiques issus de l’agriculture pour produire du biogaz. Ce dernier est injecté dans le réseau local de gaz naturel et alimente plusieurs centaines de foyers.
Le digestat, résidu solide après méthanisation, est quant à lui réutilisé comme fertilisant naturel pour les exploitations agricoles locales. Un parfait exemple de boucle vertueuse, qui réduit la dépendance aux engrais chimiques tout en produisant de l’énergie renouvelable.
Algues & filière agricole : le compost breton nouvelle génération
L’entreprise Emeraude Bio-Ressources, située à Saint-Malo, s’est lancée dans la production de compost à base d’algues vertes. En mélangeant algues, déchets verts et matières carbonées, elle obtient un amendement organique de qualité, utilisé par les agriculteurs du Pays Malouin. Résultat ? Des sols enrichis sans recours aux engrais minéraux.
Ce modèle présente plusieurs avantages :
- Réduction de la charge des stations de traitement classique
- Valorisation locale, avec peu de transport
- Revenus générés pour les collectivités (via la vente du compost)
- Création d’emplois dans le secteur du traitement des biomasses
Un bel exemple d’économie circulaire de proximité, qui mérite d’être reproduit ailleurs sur le territoire.
Les startups bretonnes s’en mêlent
Qui a dit que les algues ne faisaient pas rêver les jeunes entrepreneurs ? La startup brestoise SeagreenTech a quant à elle choisi une approche différente, en se lançant dans la formulation de matériaux biosourcés à base d’ulves. Leur fibre algale, mélangée à des résines écologiques, permet la fabrication de panneaux isolants pour le bâtiment ou d’emballages compostables.
Outre la performance thermique et environnementale de ces matériaux, leur fabrication s’appuie directement sur des ressources locales, limitant l’empreinte carbone de toute la chaîne de production. Cette innovation pourrait séduire les collectivités en quête de solutions de construction durables et responsables.
Un enjeu environnemental… mais aussi économique
Valoriser les algues vertes, ce n’est pas juste bon pour l’environnement. C’est aussi une opportunité économique pour les territoires. Les filières émergentes autour de ces végétaux marins créent des emplois non-délocalisables, renforcent la résilience locale face aux crises énergétiques et agricoles, et donnent une nouvelle attractivité à certains bassins ruraux fragiles.
Citons par exemple la commune de Lannion, qui en partenariat avec le pôle de compétitivité Valorial, accompagne les porteurs de projets autour des biotechnologies marines. Plusieurs jeunes entreprises y testent de nouveaux débouchés pour les algues littorales, allant jusqu’à de la production de pigments naturels ou de compléments alimentaires pour animaux.
Quels freins au développement de la filière ?
Malgré les avancées, la mise en œuvre de filières de valorisation reste semée d’embûches :
- Hétérogénéité des volumes disponibles selon les saisons et les zones
- Difficultés logistiques et coûts de collecte importants
- Incertitudes réglementaires sur l’utilisation de certaines biomasses
- Acceptabilité sociale et méconnaissance du potentiel des algues (eh oui, encore un problème d’image !)
Pour structurer durablement ces filières, un effort concerté est nécessaire : soutien des collectivités, financement de la R&D, communication grand public, et bien sûr création de débouchés commerciaux pérennes.
Une réponse locale à un défi global
La Bretagne ne peut, à elle seule, changer les pratiques agricoles mondiales, mais elle peut montrer l’exemple en gérant localement les conséquences des déséquilibres environnementaux. Les projets autour de la valorisation des algues vertes offrent précisément une réponse pragmatique, adaptable et porteuse de sens.
Pourquoi continuer à voir dans ces algues un simple fléau, alors qu’elles recèlent un formidable potentiel d’innovation ? Comme souvent, la réponse à un problème complexe ne vient ni d’en haut, ni d’un miracle technologique, mais bien d’une conjugaison d’acteurs locaux, d’expérimentations, et d’une vision à long terme.
En somme, transformer une menace en ressource. C’est là toute l’intelligence d’une économie résiliente… et bretonne.












